Tu n'es pas sans savoir que, selon le calendrier du travailleur moyen, les vacances c'est bien fini. Alors nous au taff, avant le pot de la confraternité, on se fait une grand-messe de rentrée, histoire de recadrer les fidèles, de faire des bilans et des projets, tout ça...que des trucs excitants, t'imagines pas.
Ma technique c'est d'être à la bourre (oui eh oh c'est pas la peine de dire comme d'hab, je fais des efforts je te signale), ça commence jamais à l'heure. J'arrive avec un calepin et un stylo. Et mon bouquin, on sait jamais. La séance est à peine déclarée ouverte que quelqu'une se lève et quitte la salle. Une salle, soit dit en passant, où tu pourrais faire une sacrée teuf. Je me dis qu'elle a peut-être pas tort. Dans le doute je feuillette la prose d'Henry Miller. Le grand prêtre (alias monsieur le directeur) se met à encenser (sans encensoir, déconne pas, on est moderne) son adjointe qui arbore une nouvelle coupe de cheveux pour l'occasion. Mon voisin de gauche me prie de simuler une transe-possession pour faire diversion, vers 11h30, heure à laquelle il souhaite aller communier ailleurs.
Au bout de pas trop longtemps, l'intégralité de la rangée derrière moi semble plongée dans une profonde méditation collective, les yeux clos, la respiration lente. Du coup je m'intéresse un peu au maître de cérémonie (mec au micro pour les intimes). Si ça se trouve, il est en train de tous nous hypnotiser, le traître (vous paupières sont lourdes, vous n'écoutez que ma voix, vous m'appartenez. Machin (oui, c'est un homme à hommes), vous passerez sous mon bureau dès que possible ; les autres vous vous consacrerez corps et âme au service public). Mais non, il dit juste qu'il va énumérer les difficultés (eh ben on n'est pas rendu). Il est vachement tôt pour la marmotte que je suis, si en plus ça roupille derrière, ça va être dur de se motiver, j'te jure...
Mais je m'accroche en fixant mon regard sur le cul très apparent d'une collègue adepte des pantalons taille basse : je constate qu'elle ne porte pas de string, peut-être n'a-t-elle rien sous son jean...
Ma voisine de devant soupire fort et regarde ostensiblement sa montre, environ toutes les dix secondes (estimation basse). Je me demande bien pourquoi elle est venue ; étant donné la forte densité de population, son absence serait passée inaperçue, déjà qu'on la voit pas forcément très bien quand elle est seule. Tout de même, elle brille par sa connerie, faut être juste. C'est marrant, j'ai pas d'exemple à te donner, mais c'est ce genre de fille (ou de mec hein) que t'as sûrement déjà rencontré, y a pas de raisons : quand elle ouvre la bouche, tu peux pas t'empêcher de penser mais qu'est-ce qu'elle est conne, c'est pas possible ! À tel point que des fois t'es obligé de lui dire.
En l'occurrence elle a de la concurrence en la personne d'un gars...celui-là faut que je t'en parle vite fait. Au début tout le monde me dit : quoi ? tu lui parles à lui ? tu sais qu'il dit bonjour à personne et qu'il est psychopathe ? Moi tu me connais, je me laisse pas influencer, le gars me salue, il est souriant, à la cantine on discute musique électronique. Il compose, je lui demande s'il a des trucs à me faire écouter, il me propose d'abord des trucs d'artistes reconnus (par timidité je suppose). Il vient souvent me chercher pour des pauses-clopes...Trop souvent, je finis par me dire. Il m'apporte un CD intitulé Eros Sphère...Y a peut-être un message caché hein, qu'est-ce que t'en penses ? Puis je constate qu'effectivement il est pas aimable du tout avec les autres. Un jour il m'invite chez lui pour choisir moi-même ce que je veux écouter, c'est plus pratique...Ben voyons. Bon là j'ai été obligée d'argumenter mon refus par une mise au point nette et non négociable. Depuis il ne me dit plus bonjour et il em regarde avec son rictus de psychopathe. Comme quoi, parfois, la majorité a raison.
Donc, niveau connerie il est en forme, en tout cas aujourd'hui - c'est un con circonstanciel, un peu comme tout le monde (sauf la nana à la montre qui est titulaire) : il pose une question...mais une question...juste histoire de poser une question quoi, je ne vois pas d'autre explication. Ça sidère pas grand monde vu que personne écoute, mais je suis curieuse de la réponse du mec au micro qui, selon toute apparence, a suivi assidument ses formations d'encadrement. La preuve, il commence sa phrase par j'ai dû mal m'exprimer (traduction : t'es vraiment qu'un con qui capte rien) et il reformule.
Ça se réveille un peu derrière. J'entends qu'on chuchote Je vais tenter une sortie-toilettes définitive. Mon portable bippe (ouais ouais ouais, je sais. J'ai oublié, ça t'arrivev jamais peut-être ? En plus personne n'y prête attention, alors ? il est où le problème ?) : Ma nuit démar tard. Jpense fort à toa é o pingouin ! Mangé bien ce midi ! Il fo pleins de vitamines pr se préparer à l'hiver. Jvous bizoute ! Bonne journée ma douce ! Ton ptit cor me mank !
Je déconnecte le téléphone et moi-même. L'écran de mon cerveau s'anime d'images chaudes et lascives, doux péché charnel...jusqu'à ce que monsieur le directeur (de conscience) annonce : Nunc est bibendum. Ah oui, j'ai oublié de te dire, c'était une grand-messe en latin.
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